Rose Kennedy : le bohneur pétrifié

En une minute, deux couplets et un refrain en introduction d’un disque de pop jazzy classieuse, B.B. scelle l’avenir d’un ciel de plomb indéfectible et enlève à la couleur absinthe le superstitieux espoir qu’il portait. La tension incandescente et l’humeur fuligineuse qui coloreront les futurs albums sont déjà là qui sourdent sous la couleur des mots blêmes, sous les accords graves et monotones martelés au piano, sous les nappes de violons emphatiques et insidieuses qui clôturent un premier titre emblématique.
Pourtant, « la vie est presque belle », le bonheur n’est pas loin, mais s’enfuit à l’instant, dans le sillon d’un cerf-volant, dans les pensées fugaces des amants insouciants, dans la flaque de lumière liquide sur un parasol qu’un nuage absorbe, dans la mélodie joyeuse furtive sifflée dans l’air bleu qu’un courant d’air emporte au large, dans le rayon lumineux éphémère qui traverse la palmeraie, dans les empruntes laissées dans le sable par les joggers et que le ressac efface.
Pascal Quignard écrivait en avant-propos de La Nuit Sexuelle : Nous dépendons d’une posture qui a eu lieu de façon nécessaire mais qui ne se révélera jamais à nos yeux. On appelle cette image qui manque « l’origine ». Nous la cherchons derrière tout ce que nous voyons. Et on appelle ce manque qui traîne dans les jours « le destin ».
A l’Origine, c’est le titre de la chanson qui introduira le troisième album de B.B., l’album le plus sombre, le plus froid, le plus déchirant, le plus tendu et qu’un B.B. halluciné chantera pendant sa Superbe tournée dans une version démente hantée par un souffle primal et caverneux. L’origine, c’est ce passé fantasmé de carte postale bleu tendre d’une Amérique révolue ensevelie sous le destin tragique des Kennedy, et que B.B. souffre de ne pouvoir jamais connaître, c’est un bel été sur la côte pétrifié à jamais entre un définitif novembre blanc cassé et la dernière heure d’un jour tragique, c’est l’ombre d’une ombre, le souvenir indicible d’une utopie, un éclair dilué dans la nuit noire et infinie, une nuit fossilisée dans les miroirs chatoyants de la mer que les embruns dispersent dans l’air du temps qui passe.

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