Trash Yéyé : la grande désillusion

Qui n’a pas lu ou entendu parler de l’arrogance de Benjamin Biolay ? B.B. serait-il cet arrogant ? Cette arrogance ne serait-elle pas le reflet déformé d’une armure nécessaire à la survie d’un tendre sauvageon en milieu hostile ? Ou bien ne serait-elle pas le jugement facile et hâtif d’un journaleux envers un jeune talent qui, en peu de temps, a été adoubé par la crème de la chanson française (Juliette Gréco, Françoise Hardy, Henri Salvador, Julien Clerc, Jane Birkin, Alain Souchon) et qui, par conséquent, ne pouvait qu’afficher une légitime superbe ? Si l’on doutera, difficilement toutefois, du regard que peut porter B.B. sur son œuvre, autrement dit qu’il a conscience que ce qu’il écrit « c’est pas d’la merde, mon p’tit gars » - comme l’aurait dit cet autre grand pygmalion auquel il est souvent comparé - on sait assurément que cette arrogance dont il est encore taxé aujourd’hui n’est que le fruit véreux d’une ignorance crasse, même si ses confessions à la lumière de ses textes pourraient néanmoins enfoncer encore le clou du doute : qu’elles sont donc cette imprudence et cette errance pour lesquelles il devrait payer (Regarder la lumière) ? Est-ce d’avoir aspiré à la lumière d’un monde, dont il n’était pas à l’origine, pour ne plus connaître la peur du fraudeur désargenté en première classe ? Serait-ce l’aveu d’une orgueilleuse convoitise pour laquelle il a depuis expié, tête découverte et baissée ? Et quand bien même ! L’orgueil n’est pas l’arrogance et ses fans savent qu’il aurait mille raisons d’être orgueilleux !
Enfoncer des clous, marteler son génie avant de voler vers d’autres horizons, voilà ce que semble avoir fait B.B. sur cet album aux allures de best of, tant l’ensemble de ces 13 titres au romantisme exacerbé auraient pu figurer sur ses précédentes productions : comme Dans la Merco Benz - qui semble tombé du dernier album de sa sœurette - où B.B. cannibalise le rap, expérimenté sur son précédent album, enveloppe de sa sensibilité le rythme et le phrasé du hip hop, réussit ainsi un improbable mariage - comme Solaar en avait réussi un autre en fusionnant rap et charme de la langue française - et fait de ce premier extrait le titre emblématique de l’oxymore Trash Yéyé ; ou encore comme La garçonnière, le titre mounierien le plus réussi depuis Le Matéo Gallion, et qui aurait pu figurer sur Voyer Léger. Ainsi après la picturale Pénombre des Pays Bas baignée de la lumière d’un maître hollandais, l'inquiétant paysage de Cours ! échappé de l’esprit visionnaire d’un Dominique Vervish et la belle collaboration avec M/M, le penchant de B.B. pour l’art figuratif explose sous les feux de Bruce Weber en un bouquet de pas moins de quinze photos ! Les chœurs célestes et angoissants de la Maîtrise du Conservatoire de Région inaugurés sur l’album noir s’invitent sur six titres et prennent une nouvelle ampleur lyrique en les voix de la Maîtrise de Paris. Les ombres de Monty Norman et John Barry, qui planaient déjà sur La monotonie et dévêtaient délicatement la Chère Inconnue, installent franchement leurs guitares bondiennes dans De beaux souvenirs. Les confessions innocentes à sa Chère Inconnue ou l'impudeur contenue de Glory Hole se déchaînent ici dans des mots crus et des scènes crades qui sentent la putain souillée et le tout à l’égout. Les timides incursions de chansons pour les pieds qu’étaient le surfin’ Dance rock’n roll et le ska Cours ! sont déclinés dans une pop 80’s qui nous donnent rendez-vous sur les dancefloors furieux de la génération new wave (Qu’est-ce que ça peut faire, Rendez-vous qui sait) ; et pour les frileux qui n’auraient pas encore compris, Rendez-vous qui sait enfonce le clou de la new wave classieuse made in B.B. dans une version remixée qui fait la part belle aux synthés et aux guitares. Néanmoins, comme un tribut à sa formation classique, l’artiste glisse dans La garçonnière des cordes Vivaldiennes très « 4 saisonnières », dans l’épilogue le plus classique (ou plus exactement : baroque) jamais entendu chez B.B. Le fatalisme qui plombe sa vie amoureuse, que, sans doute, il entretient toutefois parce que si « c’est douloureux dedans, c’est délicieux pourtant » et son extra lucidité, avoués en catimini par la bouche de Chiara M. sur le titre bonus A la longue, sont clamés et répétés dès l’ouverture de l’album T.Y. (Bien avant qu’on se soit connu […] je savais déjà qu’on était perdus […], je savais déjà tout ce que je sais) donnant ainsi à son œuvre (sa vie ?) la dimension d’un insoutenable recommencement nietzschien. Alors quand « hélas le temps passe » et qu’ « au bout de la route il n’y a qu’un grand désert », que reste-t-il ? Ressasser de beaux souvenirs ou bien décider que « on s’en mettra plein la panse, on prendra la vie comme elle vient ».

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